Deux procès emblématiques reprennent ce 31 octobre 2017 en Turquie : ils visent 26 collaborateurs des quotidiens d’opposition Cumhuriyet et Özgür Gündem. Le journaliste Nedim Türfent, emprisonné depuis près d’un an et demi, comparaît le lendemain. Trois procès qui illustrent l’utilisation punitive de la justice contre les médias critiques en Turquie.

: Les journalistes d’Özgür Gündem İnan Kızılkaya et Kemal Sancılı ont été remis en liberté au terme de l’audience du 31 octobre. Leur procès se poursuivra le 6 mars 2018. Aucune libération n’a en revanche été prononcée dans le procès de Cumhuriyet, qui reprendra le 25 décembre. La détention provisoire de Nedim Türfent a également été prolongée. Son procès reprendra le 17 novembre.


Les audiences se succèdent en Turquie et la durée de détention des journalistes ne cesse de s’allonger. Alors que le procès de 17 collaborateurs du quotidien d’opposition Cumhuriyet reprend ce 31 octobre à Istanbul, cela fait 366 jours que le rédacteur en chef du journal, , est en détention provisoire. Le journaliste d’investigation , le président du conseil exécutif du journal et le comptable restent eux aussi derrière les barreaux.Après de longs mois de détention, huit autres collaborateurs de Cumhuriyet ont été libérés au compte-gouttes au cours des audiences précédentes.

Les 17 prévenus encourent jusqu’à 43 ans de prison pour avoir critiqué les autorités et soi-disant “défendu” trois organisations considérées comme “terroristes” en Turquie : le mouvement Gülen, le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et le groupuscule d’extrême gauche DHKP/C. Des mouvances aux idéologies très différentes et que le quotidien, lauréat 2015 du Prix RSF pour la liberté de la presse, n’a cessé de critiquer. Comme éléments de preuves, l’accusation cite essentiellement des articles, interviews, commentaires et posts des collaborateurs de Cumhuriyet sur les réseaux sociaux.

Ce 31 octobre à Istanbul reprend également le procès de neuf collaborateurs du quotidien pro-kurde Özgür Gündem, liquidé par décret en août 2016. Parmi eux figurent la célèbre romancière , la linguiste et le directeur de la publication, libérés le 29 décembre 2016, ainsi que le rédacteur en chef et son collègue , toujours en détention provisoire. Tous risquent la prison à vie pour “appartenance à une organisation terroriste” et “atteinte à l’intégrité de l’Etat”.

A l’est de la Turquie cette fois, le procès du reporter reprend le 1er novembre à Hakkari. Arrêté le 12 mai 2016, il est poursuivi pour “appartenance à une organisation terroriste” dont il ferait également la “propagande”. L’agence pro-kurde DİHA, pour laquelle il travaillait, a été liquidée sous l’accusation de constituer le “service de presse” du PKK.

La première audience du procès de Nedim Türfent s’est tenue en juin dernier, soit plus d’un an après son arrestation. Douze des treize premiers témoins à charge se sont rétractés, expliquant que leur témoignage avait été extorqué sous la torture. Un autre témoin a déclaré ne pas connaître le journaliste durant la deuxième audience, en août. Les juges ont malgré tout ordonné son maintien en détention provisoire.

Le recours systématique à la détention provisoire témoigne d’une utilisation politique de la justice turque pour punir et museler les voix critiques, dénonce Johann Bihr, responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale de RSF. Il est urgent que la Turquie, membre du Conseil de l’Europe, mette fin à ces emprisonnements arbitraires.”

Le recours à la détention provisoire est censé être exceptionnel, dûment justifié par des risques précis. L’usage systématique et abusif qu’en fait la justice turque s’apparente à une forme de revanche politique. L’absence de tout recours effectif dans le pays pousse de plus en plus d’avocats de journalistes à saisir directement la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), dont les décisions sont contraignantes pour les autorités turques.

Le 26 octobre, RSF et douze autres organisations internationales de défense des droits humains sont intervenues conjointement auprès de la CEDH pour soutenir dix de ces requêtes : celles des administrateurs de Cumhuriyet et de , , et , , , , et . Début octobre, le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Nils Muiznieks, était lui aussi intervenu auprès de la CEDH dans ces mêmes dossiers.

Déjà très préoccupante, la situation des médias en Turquie est devenue critique sous l’état d’urgence proclamé à la suite de la tentative de putsch du 15 juillet 2016 : près de 150 médias ont été fermés, les procès de masse se succèdent et plus de 100 journalistes sont emprisonnés, un triste record mondial. La Turquie est classée 155e sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse établi en 2017 par RSF.