Peter Handke, couronné par le prix Nobel de Littérature ce jeudi n’a pas toujours été tendre avec l’Autriche. Du petit village natal auquel il est resté fidèle aux palais de la présidence, le pays d’origine de Peter Handke s’est unanimement réjoui de la nouvelle. Des voix, en revanche, se sont élevées en Bosnie et au Kosovo pour dénoncer l’attribution du Nobel de littérature à l’Autrichien Peter Handke, dénoncé comme un admirateur de Slobodan Milosevic et un “négationniste” des crimes durant les guerres dans l’ex-Yougoslavie.”Un admirateur de Milosevic et un négationniste prix Nobel de littérature. Quelle époque…” Pas besoin de traduction, l’acteur bosnien, Nermin Tulic, grièvement blessé lors du siège de Sarajevo par les forces serbes (1992-1995, 11.000 morts), a commenté cette décision en postant sur son compte Twitter un émoticon qui vomit.Peter Handke wins the 2019 Nobel Prize in Literature — Nermin Tulic (@NerminTulic) October 10, 2019
Responsable politique libéral de Sarajevo, Reuf Bajrovic a également dit son incompréhension devant le choix d’un jury qui pense “que Handke est un excellent écrivain et que son soutien à Slobo (Milosevic, président serbe dans les années 1990) et au génocide fait partie de sa grande oeuvre”.Survivant de Srebrenica où plus de 8.000 hommes et adolescents musulmans ont été exécutés en quelques jours de 1995 par les forces serbes, Emir Suljagic, professeur de relations internationales à Sarajevo, a écrit son dépit en anglais : “Un admirateur de Milosevic et un négationniste de premier plan obtient le prix Nobel de littérature… Quelle époque…” Le massacre de Srebrenica est considéré comme un génocide par la justice internationale.
A Milošević fan and notorious genocide-denier gets Nobel prize in literature… What a time to be alive…https://t.co/xr0atNfmZq — Emir Suljagić (@suljagicemir1) October 10, 2019
Au Kosovo, théâtre de la dernière des guerres en ex-Yougoslavie, entre forces serbes et une guérilla indépendantiste albanaise (13.000 morts), la décision a également été accueillie par le dépit. “Un admirateur de Milosevic, doublé d’un négationniste, reçoit le Prix Nobel de Littérature”, titre le premier quotidien, Koha Ditore.”Certains de ses textes des années 1980 sont vraiment des chefs d’oeuvre”L’écrivain de Sarajevo Ahmed Buric est plus mesuré, expliquant que le soutien de Handke au président serbe Milosevic est surtout le signe qu’“il n’allait pas bien”: “Les critères littéraires devraient être au-dessus de la politique. Certains de ses textes des années 1980 sont vraiment des chefs d’oeuvre”, a-t-il dit sur Radio Free Europe.En 1996, un an après la fin des conflits en Bosnie et en Croatie, Peter Handke avait publié un pamphlet qui avait suscité la polémique, “Justice pour la Serbie”.
Il avait également vivement condamné en 1999 les bombardements occidentaux sur la Serbie pour forcer Slobodan Milosevic, homme fort de Belgrade durant toute cette période, à retirer ses troupes du Kosovo.Salué en SerbiePeter Handke s’était rendu en 2006 aux funérailles de Milosevic, décédé en prison alors qu’il attendait son jugement pour crimes de guerre et contre l’humanité : “Le monde, le soi-disant monde sait tout sur la Yougoslavie, la Serbie. Le monde, le soi-disant monde, sait tout sur Slobodan Milosevic”, avait-il dit.“Le soi-disant monde n’est pas le monde. Moi, je ne connais pas la vérité. Mais je regarde. J’écoute. Je ressens. Je me souviens. Je questionne. C’est pour ça que je suis aujourd’hui présent, près de la Yougoslavie, près de la Serbie, près de Slobodan Milosevic”, avait poursuivi l’Autrichien.En Serbie, des journaux ont salué ce Prix Nobel atribué à “un ami des Serbes”, membre depuis 2012 de l’académie des Sciences et des arts de Belgrade.Pour les Autrichiens : “Il était temps”Les compatriotes de l’écrivain ne lui tiennent pas rigueur de s’être expatrié en banlieue parisienne depuis trois décennies et lui dressent des louanges unanimes, malgré son soutien indéfectible aux nationalistes serbes.Elfriede Jelinek, qui précéda Handke en 2004 au palmarès du Nobel de littérature, ne voit que justice dans cette récompense. “Il aurait dû l’avoir avant moi”, juge même modestement l’auteure célébrée des Amantes, qui partage avec le lauréat 2019 le goût des prises de position clivantes. “Il était grand temps!”, a-t-elle ajouté.A Vienne, où le pamphlet tient lieu de courant littéraire grâce au travail de Kark Kraus au tout début du XXe siècle, Jelinek estime que “l’Autriche peut-être fière” de son enfant terrible, le plus lu sans doute à l’extérieur des frontières de son petit pays depuis Thomas Bernhard.”Nous sommes euphoriques”Klaus Kastberger, l’un des meilleurs spécialistes autrichiens de Handke, se félicite de ce que le comité Nobel n’ait pas sanctionné son génie précurseur à cause des controverses qu’il a suscitées.“On disait jusqu’à présent de Peter Handke qu’il avait dilapidé ses chances de recevoir un jour” le plus convoité des prix. “Maintenant, il l’a, mais cela veut dire quoi? Que l’importance de son oeuvre complète l’a emporté dans les considérations du jury”.Dans les vallées de son enfance, faites de forêts profondes et de lacs à l’eau spectaculairement pure, les acteurs culturels qui accompagnent Peter Handke depuis des décennies voient en sa consécration la confirmation de choix artistiques courageux.“On n’y croyait plus”, admet Lojze Wieser, qui a publié plusieurs de ses livres. Le théâtre municipal de Klagenfurt, capitale de la région de Carinthie (sud) où est né Handke, accueille justement jeudi soir la première d’une de ses pièces.“Nous sommes euphoriques, parce que son univers nous occupe de manière intensive”, explique Florian Scholz, l’intendant de ce théâtre qui doit bientôt recevoir la visite de Peter Handke.”Nous devons beaucoup à Peter Handke, j’espère qu’il le sait”Au sommet de l’Etat, on ne tient pas forcément à rappeler les phrases très dures rédigées par Handke sur l’Autriche, pays gouverné plusieurs fois par l’extrême droite.“Tu es dans le mauvais pays, tu es dans un pays aussi petit que méchant; plein de prisonniers qu’on oublie dans leurs cellules et plus plein encore de geôliers oublieux, plus solidement en poste après chaque méfait”, écrivait le Nobel dans Par les villages en 1981.“Sa voix calme et envoûtante dessine depuis des décennies des mondes, des lieux et des personnages qui ne pourraient être plus intrigants”, estime le président Alexander van der Bellen. “Nous devons beaucoup à Peter Handke, j’espère qu’il le sait.”La télévision publique ORF a même bouleversé ses programmes en l’honneur du lauréat.Grincements de dents dans les BalkansCette unanimité a irrité certains ressortissants de pays des Balkans, où le prisme pro-serbe du lauréat est resté gravé dans les mémoires.”Le 18 mars, Peter Handke assistait à l’enterrement de Slobodan Milosevic, l’ex-président de la Serbie, mort le 11 mars alors qu’il était jugé pour génocide et crimes de guerre devant le Tribunal pénal international de La Haye.” (2006 @lemondefr) #PrixNobelLitterature2019 — Qëndrim R. Gashi (@qendrimrgashi) October 10, 2019
Ainsi, à l’ambassadeur d’Autriche à Paris qui félicitait l’écrivain sur les réseaux sociaux, son homologue kosovar a rappelé la présence controversée de Peter Handke “à l’enterrement de Slobodan Milosevic, l’ex-président de la Serbie, mort alors qu’il était jugé pour génocide et crimes de guerre devant le Tribunal pénal international de La Haye.”