Notre histoire coloniale s’affiche toujours, non seulement sur les plaques des rues (parisiennes notamment), mais aussi sur des monuments dispersés à travers toute la France…voire, parfois, en Afrique et dans l’ex-empire. Des monuments dont la réalisation et le devenir “sont révélateurs de plusieurs mémoires”, raconte l’historienne Jacqueline Lalouette, auteur d’un ouvrage “Un peuple de statues” (Editions Mare Et Martin).Et quand ces mémoires s’affrontent… les statues peuvent en subir les conséquences. La polémique de Charlottesville aux Etats-Unis sur le sort de la statue du général Lee n’est pas qu’américaine. Elle fait écho à des exemples en France. Le commandant Marchand avant Charlottesville Le commandant Marchand (1863-1934) fut envoyé étendre l’empire français à la fin du XIXe siècle et buta sur l’expansion britannique à Fachoda (1898). C’est ainsi que le monument parisien à la gloire de la mission Marchand, a connu une histoire agitée, alors qu’il avait lui-même remplacé un autre monument érigé par “les membres du parti colonial“, et à la gloire, lui, de l’empire.Le devenir de ce monument symbolise bien le débat sur la place de ces œuvres dans la mémoire collective. Alors qu’il a subi des déprédations à plusieurs reprises, en 78 et 83 (des “mutilations intervenues bien avant l’affaire de Charlottesville aux Etats-Unis“, note Mme Lalouette), une conseillère LR de Paris a dénoncé le fait que “la statue du Commandant Marchand n’a jamais été restaurée après l’attentat anticolonialiste de 1983 et qu’elle est laissée à l’abandon dans un entrepôt de la ville de Paris“. L’argumentation du refus de la municipalité de remettre en état cette figure “de la politique colonialiste du XIXème siècle” mit fin à la discussion. Une polémique qui n’est pas sans rappeler le débat sur le “rôle positif de la colonisation“.La mise en cause du colonialisme n’est que très récente, puisque les derniers travaux sur ce monument remontent à l’après guerre (la Seconde) lorsqu’il est installé à côté de ce qui est encore, alors, le Palais des colonies. Palais qui arbore un “gigantesque bas-relief (1200 m², le plus vaste d’Europe), œuvre réalisée sous la direction du sculpteur Alfred Auguste Janniot, magnifique illustration de l’idéologie dominante, que l’on peut synthétiser par la formule ‘La mise en valeur des colonies sous la Paix française’ “. “Faidherbe doit tomber”Autre statue, autre polémique. Elle est à Lille d’où il est natif, et rend hommage au général Faidherbe (1818-1889), gouverneur du Sénégal. Il fut le conquérant, le pacificateur et l’organisateur du Sénégal colonial, sous les couleurs de l’Empire de Napoléon III. Plus tard, il montra son adhésion à la République dont il fut l’élu. Symbole d’une époque, sa statue se retrouve fort contestée. Un collectif nommé “Faidherbe doit tomber” – une reprise du slogan “Rhodes must fall” en Afrique du Sud  – critique la restauration récente de l’imposante statue équestre située en plein coeur de la ville. D’après l’historien Thomas Deltombe, coordinateur de cette campagne, Lille ne peut plus présenter “un paysage urbain vitrifié dans la IIIe république coloniale” même si officiellement la ville glorifie le soldat de la guerre contre les Prussiens et non l’officier d’outre-mer.

D’abord officier en Algérie, il est ensuite nommé au Sénégal où il finit gouverneur. Son oeuvre est contestée. “Avant d’être un ‘constructeur’, relève l’historien Vincent Joly, ‘Faidherbe est d’abord un destructeur’. Pendant des années, les peuples de la région sont soumis à la mitraille française. Les hommes sont massacrés. Les villages réduits en cendre. La famine, savamment entretenue dans les zones rebelles, devient une arme de guerre”, note le collectifLa maire socialiste de Lille, Martine Aubry, estime que si le débat “a sa légitimité“, la municipalité n’a ni “l‘intention de retirer la statue (…) restaurée au titre de sa valeur patrimoniale, ni de renommer la rue”. Pour l’historien Alain Coursier, auteur d’une biographie de ce général peu connu du grand public et hostile à tout déboulonnage, on ne peut “revoir l’histoire avec l’oeil d’aujourd’hui”. Pendant ce temps, à Saint-Louis du Sénégal, la statue de Faidherbe est toujours en place. Là aussi le monument, érigé en 1891, sur lequel on peut lire “A son gouverneur L. Faidherbe le Sénégal reconnaissant”, fait débat. “Beaucoup de Sénégalais ont une ambivalence de sentiments : tantôt il est perçu comme un colon conquérant face à la résistante armée des royaumes sénégalais, tantôt comme le créateur de l’Etat du Sénégal moderne et le libérateur des Noirs sénégalais face aux exactions des Maures” de la Mauritanie voisine, nuance l’historien Amadou Bakhaw Diaw.  Mais pour l’heure, les autorités ont décidé de la conserver. Tout comme le pont de Saint-Louis, qui porte toujours son nom.Bugeaud “a vaincu pacifié et colonisé l’Algérie“Caporal à Austerlitz, soldat des guerres napoléoniennes, Thomas Robert Bugeaud (1784-1849) est plus connu pour sa conquête de l’Algérie… à laquelle “il était opposé pour des raisons intérieures, plus que pour des raisons humanitaires”, rappelle Jacqueline Lalouette. La conquête de l’Algérie fut violente. Dans l’histoire de cette conquête, les “enfumades” responsables de la mort de plusieurs centaines de personnes sont de sinistre mémoire. Si Bugeaud n’est pas directement responsable de ces opérations il aurait lancé: “Si ces gredins se retirent dans leurs cavernes, imitez Cavaignac aux Sbéhas ! Enfumez-les à outrance comme des renards”.

Pas étonnant dans ce contexte, que lors de l’indépendance de l’Algérie, la statue du colonisateur ait été démontée… et renvoyée vers l’ex “métropole“. En France, la ville de Périgueux a décidé en 1850 d’ériger une statue en l’honneur du militaire sur laquelle on peut lire “a vaincu, pacifié et colonisé l’Algérie“.Aujourd’hui, certains appellent à en “finir avec ce symbole de la barbarie coloniale et militariste“.  ” Au regard de l’histoire, il semble important que l’on ose une introspection de notre passé. Il serait sain de s’interroger sur la place accordée à ceux que l’on honore“, affirment-ils en évoquant les statues de Bugeaud “à Périgueux, à Excideuil ou encore à Paris, rue de Rivoli”.”Les massacres de populations civiles du maréchal Bugeaud n’ont évidemment aucune raison d’être soulevés dans un cadre juridico-historique contemporain. Là n’est pas la question. En revanche, lui faire encore aujourd’hui l’honneur d’une statue, confirmant ainsi la pérennité de l’hommage que la ville de Périgueux lui rend, pourrait être ouvert à discussion“, s’interroge un blog qui ironise sur le fait qu’aujourd’hui la statue de Bugeaud est en face d’une place dédiée…à Robert Badinter. Le choc des mémoires…Difficile de connaître le nombre de statues rendant hommage à nos colonisateurs… surtout que sur cette question, comme sur d’autres, la vision du colonialisme a été changeante (faut il y mettre Colbert, Ferry ou même Jaurès à qui il est arrivé de tenir des propos en faveur des colonies ?).Pour l’instant, en France, les polémiques sur ces statues “ne sont pas comparables” avec ce qui a eu lieu aux Etats-Unis avec les oeuvres liées à l’esclavage, précise Mme Lalouette. “La sensibilisation autour de ces monuments” liés à la colonisation “est restée très localisée“. Les campagnes contre certaines de ces statues sont encore “très marginales“, selon l’historienne. 

Pour l’avenir, Jacqueline Lalouette estime que ces statues ne doivent pas être détruites. “Je suis plutôt favorable pour conserver ces oeuvres mais en les accompagnant d’explications complètes qui permettent de comprendre leur présence”. A l’exemple de ce qui peut se faire en Belgique, concernant les statues de Leopold II. Pour permettre aux mémoires de vivre.