Le procès de 29 journalistes turcs reprend ce 27 avril 2017 à Istanbul. La libération de 21 d’entre eux, emprisonnés depuis l’été dernier, a été bloquée in extremis. Les actes d’accusation commencent à tomber contre des dizaines d’autres journalistes en détention provisoire, annonçant de nouveaux procès de masse.
Après un mois d’interruption, le procès de 29 journalistes* turcs reprend ce 27 avril à Istanbul. Accusés de former le “bras médiatique” du mouvement Gülen, désigné par les autorités comme responsable de la tentative de putsch de juillet 2016, ils risquent jusqu’à dix ans de prison pour “appartenance à une organisation illégale”. Vingt-quatre d’entre eux sont en détention provisoire depuis huit à neuf mois.
A l’issue de la première audience, le 31 mars, le tribunal a ordonné la remise en liberté conditionnelle de 21 journalistes. Une décision bloquée quelques heures plus tard, alors que leurs proches s’étaient déjà rassemblés devant la prison pour les accueillir. Les suspects ont été transférés en garde à vue, puis de nouveau incarcérés sur la base d’un recours du parquet et de nouveaux chefs d’accusation : 13 d’entre eux seront désormais poursuivis pour “tentative de renverser le gouvernement et l’ordre constitutionnel”. Quant aux trois juges ayant ordonné leur libération, ils ont été suspendus le 3 avril. Seul l’ancien rédacteur du quotidien Zaman, , a finalement été remis en liberté sous contrôle judiciaire.
“La justice ne recule plus devant aucune extrémité pour maintenir en détention des journalistes à qui elle ne reproche que leurs articles, dénonce Johann Bihr, responsable du bureau Europe de l’est et Asie centrale de RSF. Cet acharnement et la disproportion absolue entre les faits mis en avant et les peines demandées soulignent le caractère politique de ces procès. Nous demandons de nouveau la libération immédiate de tous les journalistes incarcérés sans preuve d’une implication directe et individuelle dans la tentative de putsch.”
La première audience, observée par le représentant de RSF en Turquie Erol Önderoğlu, a été marquée par de nombreuses irrégularités. Les journalistes ont tous rejeté les accusations portées contre eux. La justice leur reproche essentiellement d’avoir collaboré avec des médias favorables au mouvement Gülen, tels que Zaman, Meydan, Bugün, Millet, Haberdar, HaberTürk, ou encore Samanyolu Haber. La plupart des éléments à charge sont des articles et posts critiquant l’administration de Recep Tayyip Erdoğan, relayant les allégations de corruption de son gouvernement ou critiquant la chasse aux partisans de Gülen. Cette ligne éditoriale est assimilée à une opération de communication commanditée par la confrérie pour déstabiliser le gouvernement et préparer la tentative de putsch. Sans qu’aucune preuve de cette subordination ne soit présentée.
Les débats se sont largement focalisés sur les prises de position politiques des journalistes incriminés. Le chroniqueur a expliqué à la barre qu’il avait d’abord soutenu l’agenda réformiste du parti au pouvoir AKP, avant de critiquer sa nouvelle politique étrangère et son conservatisme croissant à partir de 2011. “Je n’ai fait qu’écrire pour contribuer à la démocratie, a-t-il déclaré. Est-ce que vous mettez en cause ce que j’ai écrit ou les médias pour lesquels j’ai écrit ?” “Si j’avais su que nous vivions dans une république bananière, je n’aurais pas critiqué le président de la République sur Twitter”, a ironisé son collègue . J’ai fait mon service militaire […] et j’en garde depuis 25 ans une balle dans la jambe. Mais aujourd’hui, on m’accuse de terrorisme.”
L’ancien directeur de l’information de la chaîne HaberTürk, , a donné quelques exemples de ses chroniques favorables au président Erdoğan et critiques du mouvement Gülen. Ali Akkuş a quant à lui rappelé qu’il avait défendu Erdoğan lorsque ce dernier avait été emprisonné pour la lecture d’un poème, en 1999. L’éditorialiste de l’hebdomadaire Türk Solu et leader du parti Ulusal, , a souligné l’incompatibilité idéologique entre sa ligne de gauche nationaliste et celle du mouvement Gülen. L’ancien reporter de Zaman, , a rappelé qu’il avait pris part aux rassemblements contre la tentative de putsch du 15 juillet 2016. Plusieurs journalistes ont également fait valoir que s’ils avaient un compte à la banque Asya, affiliée au mouvement Gülen, c’est parce que leurs salaires y étaient versés.
Dans un autre dossier, le parquet a enfin transmis au tribunal, le 17 avril, son acte d’accusation contre les célèbres journalistes et , en détention provisoire depuis l’été dernier. On leur reproche des propos tenus en plateau la veille de la tentative de putsch, qui contiendraient des “sous-entendus liés au coup d’Etat”. Accusés de “tentative de renverser le gouvernement”, ils risquent chacun trois peines de prison à vie.
La même peine est requise contre 30 anciens collaborateurs de Zaman dans un acte d’accusation rendu le 11 avril. 21 d’entre eux sont en détention provisoire depuis juillet 2016, dont ou encore . Leur procès devrait s’ouvrir dans les prochains mois.
Dix-neuf collaborateurs du quotidien Cumhuriyet, dont onze sont en détention provisoire, risquent jusqu’à 43 ans de prison pour “assistance” ou “appartenance” à une organisation illégale. Leur procès s’ouvrira le 24 juillet.
155e place sur 180 pays, la Turquie perd encore quatre places au Classement 2017 de la liberté de la presse, publié par RSF. Déjà très préoccupante, la situation des médias est devenue critique sous l’état d’urgence proclamé à la suite de la tentative de putsch du 15 juillet 2016. Près de 150 titres ont été liquidés par décret et plus d’une centaine de journalistes sont actuellement en prison. Pas moins de 775 cartes de presse et des centaines de passeports de journalistes ont été annulés sans autre forme de procès. La censure d’Internet et des réseaux sociaux atteint des niveaux inédits.
*Les 29 journalistes dont le procès reprend le 27 avril sont et (en fuite).