Au terme de la première audience, le 29 décembre 2016, le tribunal d’Istanbul a ordonné la remise en liberté conditionnelle d’, et . Les trois prévenus restent poursuivis et risquent toujours la prison à vie s’ils sont reconnus coupables. Ils ont par ailleurs interdiction de quitter le territoire turc. Reporters sans frontières (RSF) appelle la justice à lever ces restrictions, à abandonner les poursuites à leur encontre et à libérer sans délai tous les autres journalistes détenus sans preuve.


“Non contentes d’avoir réduit le pluralisme à une peau de chagrin et de détenir le record mondial du nombre de journalistes emprisonnés, les autorités turques continuent d’étrangler chaque jour davantage le journalisme, dénonce Johann Bihr, responsable du bureau Europe de l’est et Asie centrale de RSF. Cinq mois après la tentative de putsch, le gouvernement continue d’utiliser l’état d’urgence et la loi antiterroriste pour faire taire toutes les voix critiques. Vu l’ampleur et le rythme des arrestations, il n’y aura bientôt plus personne pour informer le monde de ce qui se passe en Turquie.”

a été interpellé à l’aube du 29 décembre, à son domicile d’Istanbul. Le journaliste est accusé de faire la “propagande d’une organisation terroriste” et de “dénigrer la République turque et ses institutions” sur la base d’une dizaine de tweets, de cinq articles pour le quotidien d’opposition Cumhuriyet, et d’une intervention publique lors d’un événement organisé en partenariat avec le Parlement européen. Les propos incriminés critiquaient le gouvernement pour sa gestion de la question kurde, de la menace terroriste et la livraison d’armes turques à des groupes islamistes en Syrie. L’avocat d’Ahmet Şık, Can Atalay, a déclaré à RSF être privé d’accès à son client, comme l’autorise l’état d’urgence en vigueur en Turquie depuis juillet 2016.

Célèbre journaliste d’investigation, Ahmet Şık est lauréat de nombreux prix dont le Prix Guillermo Cano pour la liberté de la presse, remis par l’UNESCO en 2014. Il avait passé plus d’un an en détention provisoire entre 2011 et 2012 sous des accusations montées de toutes pièces, dénoncées par RSF dans un rapport d’enquête.

Ce 29 décembre marque également le début du procès de neuf collaborateurs du quotidien Özgür Gündem, liquidé par décret en août 2016. En détention provisoire depuis quatre mois, la célèbre romancière et la linguiste , également chroniqueuses, comparaissent à Istanbul aux côtés du rédacteur en chef et du journaliste . Leurs cinq co-accusés ont réussi à prendre la fuite. Accusés “d’appartenance à une organisation terroriste et d’atteinte à l’intégrité de l’Etat”, tous risquent la prison à vie. Exiguë, la salle d’audience choisie pour ce procès emblématique au palais de justice de Çağlayan ne permet pas d’accueillir les nombreux observateurs, parfois venus de loin pour témoigner leur soutien aux journalistes.

Aslı Erdoğan est aussi connue pour ses romans, primés et traduits dans de nombreuses langues, que pour son combat pour le respect des droits de l’homme. Engagée depuis des décennies pour la paix, les droits des femmes et des minorités, elle dénonçait dans ses chroniques comme dans ses livres la multiplication des atteintes aux libertés, les conditions de détention ou encore le sort de la population civile prise au piège des violences dans les régions du sud-est à majorité kurde. Souffrant d’asthme et de diabète, Asli Erdogan a pourtant été placée à l’isolement au début de sa garde à vue. RSF réitère son appel à signer massivement la pétition en faveur de la romancière et de ses collègues, disponible ici.

Cinq autres journalistes ont été arrêtés le 25 décembre et inculpés pour “propagande d’une organisation terroriste” : le journaliste d’investigation , ancien rédacteur en chef du site d’information Diken, les reporters de l’agence DİHA et , de l’agence ETHA, et le rédacteur en chef du site d’information Yolculuk ont été interpellés chez eux à l’aube. DİHA et ETHA font partie des nombreux médias récemment liquidés par décret.

Le principal point commun entre ces journalistes est d’avoir couvert les révélations d’un groupe de hackers d’extrême-gauche au sujet du ministre de l’Energie Berat Albayrak, par ailleurs gendre du président Erdoğan. Fin septembre, RedHack avait affirmé avoir piraté ses comptes mails, dont elle avait rendu le contenu public. Ces révélations avaient été sévèrement censurées.

Déjà 151e sur 180 au Classement mondial 2016 de la liberté de la presse, la Turquie s’enfonce dans une répression sans précédent depuis la tentative de putsch du 15 juillet 2016. Les autorités utilisent l’état d’urgence pour faire taire l’ensemble des voix critiques. Alors que se multiplient fermetures de médias, retraits de cartes de presse et de passeports, plus d’une centaine de journalistes sont actuellement derrière les barreaux.